​Quand tu penses à une orthophoniste en milieu scolaire, à quoi penses-tu ?

Si tu t’imagines un élève qui se fait aider one-on-one par un professionnel dans un bureau, tu as raison. Mais, en fait, cette description du travail de l’orthophoniste en milieu scolaire ne fait que frôler la surface.

Moi, quand je pense à une orthophoniste en milieu scolaire, tu sais ce qui me vient en tête ?

Depuis mon entrevue avec Nadège Brutus, avec qui j’ai pu discuter dans le cadre du mois de l’ouïe et de la communication, c’est elle que j’imagine. Je la vois sortir des sentiers battus en orthophonie et forger son propre chemin pour faire les choses autrement.

Mais qui est Nadège Brutus ? À quoi consiste son travail ? Et comment arrive-t-elle à accompagner des familles de nationalités diverses ?

Poursuis la lecture pour le savoir !

Qui est Nadège Brutus ?

Nadège possède un baccalauréat en psychologie et en psychoéducation de l’Université de Montréal et a complété sa maîtrise en orthophonie à l’Université d’Ottawa en 2009.

Depuis une dizaine d’années, elle travaille dans une école primaire du quartier Côte-des-Neiges auprès d’une clientèle allophone.

Son mandat ? Intervenir auprès d’élèves multilingues qui ont un trouble développemental du langage.

La diversité est au cœur de ses actions et l’interpelle depuis le début de sa pratique.

À quoi consiste le travail de Nadège en tant qu’orthophoniste en milieu scolaire ?

Nadège s’occupe du 3e cycle, et à l’école où elle travaille, elle a 2 autres collègues orthophonistes.

Une chose que Nadège adore de son travail, c’est l’autonomie et la flexibilité auxquelles elle a droit. Bien qu’étant orthophoniste, elle porte plusieurs chapeaux, dont celui d’intervenante pivot.

Dans l’école, beaucoup d’élèves viennent de milieux défavorisés. Les familles ont parfois besoin de vêtements, de nourriture, de logement, etc.

Qui apporte son aide à ces familles dans le besoin ?

C’est Nadège ! Elle accompagne les familles à leurs rendez-vous chez le médecin, elle rencontre les parents dans son bureau et leur offre quelque chose à grignoter, elle discute avec les enseignants chaque semaine, etc. Nadège va tellement plus loin que le rôle traditionnel de l’orthophoniste !

Mais pourquoi faire tout ça ?

En partie, les origines de Nadège l’aident à se mettre dans les souliers des parents qu’elle rencontre. Ses parents sont des Haïtiens immigrants de première génération, alors elle comprend bien la réalité des familles immigrantes. Elle se pose donc la question : si l’élève était moi, comment mes parents auraient-ils aimé être accueillis par l’orthophoniste de l’école ?

Nadège comprend aussi qu’elle ne sera pas nécessairement en mesure d’offrir une évaluation et des interventions efficaces à un enfant s’il n’a pas d’autres mesures d’aide.

Ainsi, cette orthophoniste offre une approche communautaire, et collabore avec de nombreux actants dans la communauté pour répondre aux besoins multifactoriels de ses élèves et de leurs familles.

Et, pour Nadège, le fait de faire les choses autrement, ça ouvre des portes qu’elle n’aurait jamais pu ouvrir dans un cadre plus traditionnel !

Mythes sur le multilinguisme

Malheureusement, certaines fausses croyances sur le bilinguisme et le multilinguisme sont toujours propagées dans notre société. En voici 3 :

  • L’enfant va mieux réussir dans la société s’il favorise la langue du pays et laisse de côté sa langue maternelle.

    C’est complètement faux. Pour faire raisonner les parents à ce sujet, Nadège leur pose une question intéressante.

    « Quand vous retournerez en visite dans votre pays d’origine, comment votre enfant pourra-t-il échanger avec les autres membres de sa famille s’il ne connaît pas la langue ? ».Déjà que les enfants d’autres nationalités peuvent souffrir d’une crise identitaire lorsqu’ils habitent dans un autre pays… Il ne faut surtout pas qu’ils se sentent comme des étrangers dans leur pays d’accueil ET dans leur pays natal !

 

  • Le parent doit parler à son enfant dans la langue du pays où ils habitent, même si le parent ne maîtrise pas cette langue.

    Malgré les bonnes intentions des parents qui suivent ce mauvais conseil, parler dans une langue qu’on ne maîtrise pas peut avoir un effet dévastateur sur la relation parent-enfant.

    De plus, c’est impossible d’offrir un bon modèle langagier si on baragouine la langue. Ça risque d’entraver le développement langagier de l’enfant, en plus d’affaiblir la confiance qu’a l’enfant pour son parent.
    Pour en savoir plus sur l’impact que peut avoir le fait d’essayer de stimuler le langage de notre enfant dans une langue qu’on ne maîtrise pas, tu peux écouter cet épisode de podcast. Dans cet épisode, Lorianne Lacerte, une collègue orthophoniste, m’invite à partager plusieurs informations sur le bilinguisme. Sans vouloir toot my own horn, c’est assez intéressant !

  • S’intégrer à la culture du nouveau pays tout en maîtrisant sa langue d’origine, c’est impossible.

    Nadège est la preuve vivante que cette idée est fausse.

    Elle affirme avoir pris le meilleur de la culture haïtienne et de la culture québécoise. Quelle bonne idée ! Chaque culture a ses points forts et points faibles, donc elle a pu filtrer les aspects qu’elle aimait moins et favoriser ceux qu’elle préférait. En quelque sorte, elle a donc créé sa propre culture.

11 conseils pour aider les familles multilingues quand on travaille en milieu scolaire

Dans le cas d’une orthophoniste en pratique privée, l’accès aux parents est facile. Souvent, c’est l’un des parents qui accompagne son enfant aux rendez-vous, ce qui permet à l’orthophoniste de discuter avec le parent et de développer une belle relation avec lui.

Mais, comment les orthophonistes travaillant dans les écoles peuvent-elles atteindre une telle relation avec les parents ? Elles voient rarement les parents dans le cadre des interventions, alors comment peuvent-elles s’y prendre ? Est-ce possible d’incorporer le concept de l’accompagnement parental quand on travaille en milieu scolaire ?

Ça prend plusieurs qualités et de nombreux efforts, mais oui ! C’est possible !
Voici 11 conseils tried-and-true que Nadège applique dans sa pratique pour aider les familles multilingues.

1. Crée un lien de confiance avec les parents et l’enfant

Créer un lien de confiance avec les parents, mais aussi avec l’enfant, c’est essentiel.

Les parents doivent se sentir à l’aise de contacter l’orthophoniste s’ils ont des questions, de partager leur opinion, etc. De son côté, l’enfant doit lui aussi être prêt à s’ouvrir à l’orthophoniste, à lui confier ses sentiments et ses impressions.

2. Intéresse-toi à la culture de la famille

La culture de l’enfant, ça fait partie de son identité. Il n’a pas à avoir honte de sa religion et de ses coutumes. Ce n’est pas quelque chose qu’il doit cacher, surtout pas avec son orthophoniste.

Pour marteler ce point, Nadège échange avec l’enfant sur ses pratiques religieuses. Par exemple, si l’enfant a été absent au courant de la semaine, Nadège lui demande pourquoi. Si c’était en raison d’une célébration religieuse, elle s’intéresse à l’événement et aux croyances qui y sont rattachées.

3. Sois respectueuse et ne juge pas

Le respect et le non-jugement, ça se sent.

Si tu respectes les parents et que tu ne les juges pas, ils vont s’en rendre compte. Dans un monde où ces deux qualités sont rares, les orthophonistes doivent fournir un effort particulier pour les manifester afin d’aider les familles multilingues.

4. Fais attention à ton non verbal et au ton de ta voix

Selon des études, la communication se divise ainsi : 7 % verbal pur (les mots utilisés et leur sens), 38 % para verbal (le ton de la voix, le rythme, etc.) et 55 % non verbal (les gestes et expressions faciales).

Alors, oui, c’est important de choisir les bons mots. Mais, encore plus important que le contenu de notre message, c’est la manière dont on le dit.

Le non verbal et le ton de notre voix, ça parle. Ça parle plus que nos mots !

Quand elle discute avec les parents, Nadège s’assure donc d’avoir un non verbal qui montre le respect, la compréhension et l’empathie. Elle ajuste aussi le ton de sa voix en conséquence.

Tout ça, ça favorise une belle relation avec les parents, mais aussi avec les enfants !

5. Montre-toi flexible et disponible

Pour aider les familles multilingues, Nadège se montre flexible et disponible. S’ils ont des questions, les parents sont vivement encouragés à la contacter. Elle reçoit même des appels de parents dont l’enfant est maintenant au secondaire (le suivi avec Nadège est donc terminé), et elle prend le temps de les écouter et de les guider ! You go, girl !

6. Sois patiente

Créer un bon lien avec les parents, ça ne se fait pas du jour au lendemain.

Au départ, certains parents sembleront peut-être désintéressés par la vie scolaire de leur enfant. L’orthophoniste en milieu scolaire devra donc travailler fort et patiemment pour développer l’intérêt des parents et les aider à voir l’importance de cet aspect de la vie de leur enfant.

7. Donne le pouvoir aux parents

Pour Nadège, le partenariat avec les parents est non-négociable. Elle considère qu’elle a besoin d’eux et elle essaie toujours de leur donner le pouvoir.

Donner le pouvoir aux parents, ça veut dire quoi, concrètement ?

C’est de s’assurer que les parents soient bien informés pour qu’ils puissent prendre des décisions en lien avec leur enfant par eux-mêmes en étant en pleine connaissance de cause. C’est aussi de réaliser que ce n’est pas parce que le parent ne parle pas français qu’il ne peut pas aider l’enfant.

Le parent est expert de l’enfant, et l’orthophoniste est le guide. Chacun a son rôle, et les deux sont essentiels.
Si le parent sent qu’il a le pouvoir d’aider son enfant, ça va renforcer sa relation affective avec l’enfant.

8. Vérifie la compréhension que les parents ont de la situation

L’orthophoniste ne peut pas tenir pour acquis que les parents comprennent complètement la situation.
Selon Nadège, il ne faut rien assumer. Elle préfère donc parler plus lentement, et répéter souvent, puis vérifier la compréhension des parents. Si elle remarque de l’incompréhension, elle trouve des solutions pour être certaine que les parents aient accès aux informations qu’elle souhaite leur fournir.

9. Aide les parents à naviguer le système scolaire de leur nouveau pays

Honnêtement, quand je dirige des parents vers le secteur public pour qu’ils aient des services gratuits en orthophonie, je me sens un peu comme si je les envoie in the lion’s den.

Même dans notre pays d’origine, ce n’est pas toujours évident de comprendre le système de santé ! Alors, imagine comment ça peut être overwhelming pour des immigrants…

Ces parents apprécieront donc vraiment le fait d’être guidés à travers le système scolaire de leur nouveau pays. C’est ce que fait Nadège, et pour s’assurer que les parents comprennent bien ses explications, elle utilise souvent des interprètes.

10. Déculpabilise les parents par rapport à l’usage de la langue maison

En montrant aux parents qu’ils n’ont pas à laisser de côté la langue maison, un énorme poids est enlevé de leurs épaules. Ils comprennent qu’ils n’ont pas à cacher cette partie de leur identité, et que celle-ci est même profitable pour leur enfant.

D’ailleurs, Nadège encourage les parents à lire des histoires et à regarder la télévision avec leur enfant dans leur langue maison, et elle met l’accent sur l’importance de l’interaction avec l’enfant. Alors, en regardant la télévision ensemble et en lisant, les parents et l’enfant peuvent en profiter pour discuter de ce qu’ils regardent ou lisent.

11. Collabore avec les parents, mais aussi avec tout le personnel qui entoure l’élève

Chaque début d’année scolaire, Nadège fait des dépistages visuels avec l’infirmière scolaire pour identifier les élèves qui pourraient avoir besoin d’aide.
En gros, elle vise le partenariat avec tout le personnel qui entoure l’élève, comme l’enseignante, l’orthopédagogue, etc.

Pour Nadège, ce n’est pas une compétition pour savoir qui l’enfant va préférer, ou qui va finir par aider l’enfant le plus. C’est un travail d’équipe où chacun a quelque chose de très précieux à apporter, et le but est de voir l’enfant s’épanouir autant dans sa vie familiale que scolaire.

Le conseil no 1 de Nadège pour ses collègues orthophonistes

Pour Nadège, le conseil le plus important qu’elle peut adresser à ses collègues orthophonistes (et même, aux enseignants), c’est de prendre conscience de l’importance d’utiliser du matériel diversifié. Et pas juste avec les enfants d’autres nationalités, mais avec tous les élèves !

À travers la lecture, les élèves peuvent se sentir valorisés et représentés dans les personnages, et ainsi, cultiver leur goût de la lecture.

D’ailleurs, Nadège fait partie d’un collectif de parents qui partagent une panoplie de littérature jeunesse mettant de l’avant des personnages racisés, et tu peux aller trouver le compte Instagram du collectif sous le nom @biblioafrojeunesse.

Bref, si tu es orthophoniste en milieu scolaire, tu as le pouvoir d’aider de nombreuses familles.

Alors, si ce n’est pas déjà fait, incorpore dès que possible le principe de l’accompagnement parental dans ta pratique ! Si tu ne sais pas par où commencer, Lorianne Lacerte et moi avons la formation parfaite pour toi.

Bon succès !

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