Dans un billet précédent, j’ai partagé avec toi les ingrédients clés pour une intervention réussie auprès d’enfants bilingues. Maintenant, je souhaite faire la distinction entre les stratégies à favoriser, à éviter, et les recommandations que l’on peut donner aux familles lorsqu’on établit avec elles un plan pour un bilinguisme durable.

Dans les approches d’intervention en orthophonie auprès d’un enfant bilingue ou allophone présentant des difficultés langagières, je prône encore et encore le maintien de la langue maternelle pour tous ses bénéfices. De plus, parler la langue maternelle est souvent une nécessité et non un choix, comme par exemple lorsque les parents eux-mêmes ne parlent que leur langue maternelle, et sont encore en apprentissage de la langue du pays d’accueil. Cet usage de la langue maternelle est un besoin pour survivre, pour maintenir le lien de communication avec leur enfant, et non un choix! Pour ces familles, il n’y a pas de choix ni de stratégie, chaque parent parle sa langue maternelle.

Prenons maintenant une famille qui vient d’Haïti, chez qui le français et le créole sont parlés couramment. Dans cet exemple, les parents parlent majoritairement le créole à la maison, avec quelques mots en français par ici et par là. Imaginons que l’enfant de cette famille soit référé pour une évaluation en orthophonie, car on se questionne sur son langage en français. Ce qui arrive souvent dans ces cas, peu importe si l’enfant présente réellement un trouble du langage ou non, c’est que les personnes qui entourent cet enfant, disons l’enseignant, l’éducateur, le médecin, parfois même des orthophonistes (oui oui!), vont recommander de se “concentrer” sur la langue scolaire. Cette recommandation fausse mais tenace reflète que l’usage D’UNE langue serait celle à adopter, mais est souvent confondue dans le contexte. Dans mon expérience vécue, les personnes voulant aider la famille vont souvent fournir des recommandations qui ne sont pas soutenues par les données probantes. (tu peux aller lire les nombreux mythes et réalités sur le bilinguisme par ici).

Un autre exemple de conseils à éviter qui ressemble à la stratégie “un parent une langue” est lorsque les personnes qui entourent l’enfant recommandent aux parents qui, comme dans cet exemple, sont bilingues, de s’en tenir à UNE LANGUE pour ne pas confondre l’enfant. Ceci serait encore une instance où la stratégie “un parent une langue” est proposée, mais qui ne se tient pas. Dans les faits, nous savons que les enfants vont souvent se servir d’alternance de codes (usage des deux langues dans une même phrase ou d’une phrase à l’autre), car ils reprennent les modèles qui les entourent. Ainsi, les parents qui sont eux-mêmes bilingues vont également employer une alternance de code. Lorsqu’on demande à ces familles de s’en tenir à une langue seulement, pour de mauvaises raisons, ceci peut être difficile et limitant pour eux. Ils veulent souvent suivre ce qui leur est demandé pour aider leur enfant, mais cela ne leur vient pas naturellement et cette recommandation n’en est pas une pour réellement aider l’enfant.
Maintenant, revenons aux stratégies qui vont favoriser le développement de la langue seconde, mais également le maintien de la langue maternelle, et celles-ci sont: les moyens, la motivation et les occasions.

Lorsque nous parlons de motivation, cela signifie qu’il faut chercher à valoriser toutes les langues. On peut valoriser toutes les langues au sein de la classe à l’école et à la garderie, en intégrant la diversité linguistique dans certaines routines ou activités, et en recommandant toujours aux familles de maintenir la langue maternelle.

Ensuite, lorsque nous parlons de moyens, cela signifie qu’il faut avoir un système en place, et tout doit se faire dans le plaisir! Peu importe l’apprentissage, il nous faut un plan, quelque chose de systématique et bien établi permettant une quantité suffisante et des opportunités de qualité nombreuses de pratiquer la langue en question. Ce système doit inclure QUI parle quelle langue à l’enfant et À QUEL MOMENT chaque langue est utilisée. On peut en discuter avec le parent, pour s’assurer des moyens qui permettent le maintien de la langue maternelle ainsi que le développement de la langue majoritaire.

Finalement, nous voulons nous assurer qu’il y ait suffisamment d’occasions constantes et systématiques pour la langue maternelle ET scolaire. C’est ici que la stratégie “un parent, une langue” pourrait être gagnante.

Prenons un autre exemple: une famille qui arrive du Mexique et qui parle l’espagnol à la maison, ainsi que le français. L’enfant a fréquenté une garderie francophone, et a ensuite été scolarisé en français. La famille consulte pour connaître la raison pour laquelle leur enfant ne parle pas l’espagnol, et leur désir est de transmettre leur langue et leur culture à leur enfant. En discutant avec eux, on se rend compte que le temps dédié à l’espagnol est quand même limité, étant donné qu’ils parlent également le français à la maison. On établit alors un plan avec le parent où la mère choisit de parler uniquement l’espagnol, et le père lui l’espagnol et le français. La mère choisit donc d’adopter la stratégie “un parent, une langue” car elle passe plus de temps avec son enfant, c’est elle qui fait les allers-retours à l’école, la lecture le soir et les routines quotidiennes. Dans cet exemple, la stratégie choisie a été celle gagnante pour atteindre les objectifs langagiers familiaux, et n’est en aucun cas liée à un trouble. Cette stratégie est souvent adoptée par des familles plurilingues qui veulent transmettre une langue minoritaire à leur enfant. Nous nous souvenons qu’une langue minoritaire est souvent peu ou pas accessible dans la communauté, et donc, les occasions d’entendre et de pratiquer cette langue seront limitées.

Enfin, je rappelle que pour la majorité des parents bilingues, il est peu réaliste de se restreindre à parler une seule langue. En revanche, si la stratégie est un peu trop “improvisée”, il est plus difficile pour eux de s’en tenir et pour que l’enfant ait réellement les moyens, les occasions et la motivation de parler la langue. Il faut que la stratégie pour la langue minoritaire soit déterminée. Si la stratégie pour la langue minoritaire n’est pas déterminée, cela peut laisser trop de place à la langue majoritaire.

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